l'Aven
Chazot, une certaine conception de la nature
La représentation que chacun peut se faire de la Nature détermine la relation qu'il entretient avec elle.
Notre conception de la nature nous est propre et exclusive, comme notre respect envers elle. Pour certain, la nature désigne un état sauvage qu'il convient de domestiquer au plus vite par la connaissance afin de s'en protéger ou de s'en approprier les richesses. Pour d'autres au contraire, la nature constitue la totalité que forment ensemble les êtres vivants et il faut d’évidence la préserver et sauvegarder les équilibres sensibles qui garantissent la vie. Nous sommes plutôt de ceux-là, persuadés que ceux qui en doutent encore n'auront bientôt plus d'autres choix que de se joindre à nous, et de se rendre à l'évidence qu'une obligation de sauvegarde s'impose désormais à tous comme une condition
non négociable de notre survie.
Ces points de vue si distincts et si opposés semblent aujourd'hui encore inconciliables et le quiproquo se creuse plus encore avec le temps et la confrontation des moeurs au fil des époques. Les certitudes naïves et
le manque de connaissances scientifiques conféraient à nos aïeux un sentiment de domination sur la nature doublé d'une profonde sensation d'invulnérabilité. Sans conscience de leur impact, ils visaient le pouvoir technique au prix de l’exploitation sans réserve de la nature, avec pour seul impératif le souci économique de l’efficacité et du rendement. Qu'importe dans cette conception le tort que l'on pouvait causer aux espaces sensibles. Pourtant, le caractère irréversible de ces dommages "inconscients" affecte désormais
pour longtemps les générations à venir.
Notre action à l'aven Chazot constitue une bien modeste tentative de réparation d'un site naturel souillé par des habitudes centenaires bien ancrées. Sans vraiment ressentir un sentiment de culpabilité, on y a jeté des décennies durant tout ce dont on ne voulait plus, copiant ce que faisait déjà nos ancêtres et avant eux leurs propres ancêtres de générations en générations. Jeter sous terre avec la certitude du non retour facilitait l'oubli et épargnait bien des tracas. Excepté quelques marginaux de l'époque, personne ne se souciait de cette pollution, pas même l'homme de loi qui avait pourtant fait adopter en 1903 (Martel) un arrêté visant à interdire ces pratiques. La coutume aurait pu durer longtemps ainsi sans que personne ne s'en soucie.
Mais c'était sans compter avec l'éveil récent – mais contraint devant l’évidence - d'une nouvelle conscience environnementale, nécessairement durable, et pour laquelle l'excuse de l'ignorance n'est plus recevable. C'est sans doute ce qui justifie l'écho favorable que reçut notre démarche dés le début alors que toutes les tentatives précédentes avaient échoué faute de soutien. Il s'en fallut de peu aussi pour que le sentiment de responsabilité civile et pénale - dominant largement celui de responsabilité environnementale - n'encourage les décideurs locaux à fermer la cavité d'un sarcophage de béton, condamnant cette dernière à la pollution éternelle.
le principe de
l'absolu
A ce jour, plus de 12 000 heures après avoir extrait le premier morceau de plastique indésirable du fond de l'aven, nous sommes empreints d'un curieux sentiment, mélange de fierté et d'une certaine forme d'inachevé. Là encore, le malaise réside dans notre conception de la nature et plus encore, de notre action de sauvegarde envers elle. Certes, nous ne sommes pas responsables des dommages mais c'est pourtant bien notre espèce qui en porte la culpabilité. De même, le fait d'avoir initié le projet et d'avoir réussi à extraire des quantités importantes de déchets nous prive du motif d'incompétence et nous rend maintenant nous aussi responsables à l'égard des générations futures. Ces dernières pourront légitimement nous reprocher d'avoir su, d'avoir pu, mais de n'avoir pourtant pas fait.
Dans cette situation délicate dont l'empreinte psychologique peut rapidement devenir indélébile et nous accompagner durablement, nous sommes confrontés à un cruel dilemme : celui de savoir si la cavité est réellement dépolluée, comme nous l'avons dit, ou si les ossements encore présents dans ses profondeurs continuent de constituer une forme de pollution. A l'évidence, même si la complaisance entre amis nous inviterait niaisement à penser la tâche accomplie, force est de reconnaître, malgré nos douleurs physiques et le sentiment d'avoir déjà beaucoup donné, que ces ossements n'ont à priori rien à faire au fond d'une grotte et demeurent en ce sens une pollution manifeste.
Dans ce contexte, au risque de paraître absolus, nous sommes pour notre part convaincus que la mission n'est pas terminée et que nous devrons - nous ou d'autres - tôt ou tard - nous remettre à l'ouvrage pour terminer le travail initié.
un frein à la détermination
Après 6 campagnes et plus de 340 m3 extraits, les techniques se sont rodées, les matériels ont progressé et la solidarité entre les membres de l'équipe s'est affirmée. Pourquoi alors ne pas surfer sur cette expérience pour repartir plus fort encore ?
D'une part, il nous faut bien reconnaître que la pollution visible, celle des morceaux de plastique, des produits toxiques et de la ferraille n'existe quasiment plus dans la cavité, et nous prive en ce sens d'une raison valable motivant la débauche des moyens nécessaires à la mise en place de nouvelles campagnes. D'autre part, si l'enchaînement des différentes campagnes renforcent l'expérience acquise et l'efficacité de l'équipe, cela use également les organismes et acerbe le sentiment de ne jamais en venir à bout. Tous ces facteurs compromettent systématiquement la pérennité de la foi en ce projet, Nombreux parmi les participants qui ont pris part à l'opération ne sont jamais revenus, découragés par l'ampleur de la tâche et
de la modestie apparente d'une contribution individuelle. Certains même, à demi mots, ont parié que nous n'y arriverions jamais, embarqués malgré nous dans une conquête de l'illusoire.
Ainsi, nous nous sommes arrêtés là, au bout du chemin pour les ambassadeurs de la bonne conscience, mais à quelques encablures de l'objectif pour les autres. Même s'il faut bien s'arrêter un jour et ménager tous les esprits, nombreux parmi nous restent en proie au doute, dévorés par cette furieuse envie d'y
retourner et de terminer le travail, ne serait que pour honorer notre propre engagement avec nous mêmes.
Contre le risque d'une condamnation à l'ascétisme moral, nous nous obligeons donc à penser que nous retournerons creuser dans l'aven, révéler les bases de la grande concrétion et finir un jour par savourer le plaisir d’une victoire complète et sans
compromis.
Perspectives
La dépollution officielle étant
consommée (voir), rien ne nous interdit malgré tout de compléter le travail accompli, d'engager des actions cumulées de nettoyage et de prospection. Certains, parmi les plus fidèles du projet, ne reviendront pas, confrontés à des obligations familiales ou professionnelles de plus en plus incompatibles avec l'engagement du projet. Nous en sommes parfaitement conscients et nous ne leur en tenons pas rigueur. Nous comprenons parfaitement que la motivation ne puisse plus parfois s'accommoder d'échéances incertaines et d'un objectif aux contours difficiles à cerner. Notre reconnaissance à leur égard restera intacte, ils font partie intégrante de l'aventure et sont éternellement liés à l'histoire de cette grotte, nous les associerons systématiquement à l'évolution de l'aventure, gardant la porte ouverte en permanence.
Mais quels que soient nos choix sur l’avenir de cette aventure, les conditions d'une reprise des opérations à Chazot seront nécessairement plus discrètes et présentées sous une autre thématique, sans objectif particulier, sinon celui d'avancer et de poursuivre le dégagement progressif des contours de la cavité, quelque soient les obstacles et les découvertes qui jalonneront notre parcours. Nous espérons de tout coeur que cette détermination - même qualifiée d'absolu parmi certains de nos observateurs - saura trouver un écho favorable et fédérer à nouveau les énergies nécessaires, parmi les acteurs du projet, mais aussi ailleurs et pourquoi pas auprès de la jeune génération plus sensible encore à cette problématique environnementale.
Finalement, le courant d’air n’est-il pas tout simplement un appel à l’achèvement de nos travaux
?
Des moments exceptionnels auront jalonné cette 6ème campagne, et jamais, les équipes n'avaient été aussi performantes, preuve de l'expertise acquise tout au long du projet. Nombreux sont ceux qui, discrètement, ont alors manifesté leur souhait de ne pas
s'arrêter là, en proie au doute sur la réalité de la victoire
annoncée.
On y revient inévitablement : tout est question de représentation, de
celle que l'on se fait de la nature et de la façon de la préserver. Même si la cavité est en effet débarrassée de tout objet polluant, peut on considérer que les ossements encore présents constituent une forme de pollution ? A cette question délicate, nous persistons pour notre part à considérer que
ces ossements - même non polluants à priori - n'ont rien à faire au
fond d'une grotte. En ce sens, nos conceptions respectives de la notion de dépollution peuvent en effet différer.
Nous assumons cette différence de points de vue et, sans connaître les formes que prendront les opérations à venir, nous invitons d'ores et déjà tous ceux qui le souhaitent à nous accompagner dans cette détermination
et à terminer la remise en état de l'aven Chazot par l'extraction intégrale de tout ce qui n'y est pas tombé naturellement.
La réussite sans compromis du défi lancé voilà plus de deux ans
n'est plus qu'à quelques m3 d'ossements.
l'aventure continue,
au plaisir de vous y retrouver
l'équipe des porteurs du projet du Club du Ressac - Grospierres (07)
les partenaires de l'opération :
Mairie de Vallon Pont d'Arc, Centre Technique
Spéléo Nord France Comté, Syndicat Mixte de
Gestion des Gorges de l'Ardèche (Réserve Naturelle), Conseil Général de l'Ardèche,
Conseil Régional Rhône-Alpes, Musée d'Orgnac, Ministère de la Santé
et des Sports, Direction Départementale de la Jeunesse
et des Sports de l'Ardèche, Fédération Française de Spéléologie,
Comité Régional de Spéléologie de Rhône-Alpes, Comité Départemental de Spéléologie de l'Ardèche,
Pompiers e Vallon Pont d'Arc, Agence de l'Eau Rhône, Méditerranée et Corse,
Société Velook-Securitas, Société Sictoba,
Société Melvita, Société ActiPro, Société System Industrie,
Laboratoire CPIL, Association Séquence Nature Rhône-Alpes
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